Interview et traduction de Laurent Huyghe et Machiko Huyghe
1. Sensei, quelles sont les motivations qui vous ont poussé à vous engager dans la voie des budo et plus particulièrement de l’Aïkido ?
Je suis né en Province et là où j’habitais, l’Aikido n’était pas connu. J’ai découvert l’Aikido à mon arrivée à Tokyo quand je suis entré à l’université, dans un « club de découverte » typique des universités japonaises.
La première fois que j’ai vu de l’Aikido, j’ai été fasciné par le caractère souple des mouvements et aussi par la tension que pouvait susciter les frappes lors de la pratique. Cela m’a enchanté.
2. A quel moment de votre parcours avez-vous décidé d’enseigner l’Aïkido ?
D’abord, en pratiquant tous les jours, je me suis aperçu que l’Aikido était riche d’innombrables découvertes.
En dehors de la pratique, il y a bien sûr d’autres choses intéressantes dans la vie (les études, le travail, les amis...) mais pour moi, à l’époque, je privilégiais toujours la pratique.
Un jour, Yamaguchi sensei m’a demandé si je voulais entré au Hombu dojo. C’est comme ça que je suis devenu instructeur.
3. Quel est à votre sens l’importance du « kokyu ». Faut-il un travail spécifique pour l’acquérir ?
D’un point de vue général, les hommes comme les éléments naturels possèdent un « kokyu ».
Le « kokyu » pourrait être interprété comme l’élan vital, l’âme de toute chose, ce qui relie chaque chose entre elle, l’énergie, la conscience qui relie la nature, les arbres, les végétaux, la Terre, les hommes...
En Aikido, dans le processus de l’Aikido, je pense que le « kokyu » correspond à l’énergie fondamentale que l’on trouve dans les techniques, qui permet à chacun de déployer ses habiletés et d’en profiter pleinement, tant physiquement que mentalement.
Le « kokyu » pourrait être l’énergie, le souffle même de la technique.
4. A vous voir travailler, il semble que la vitesse d’exécution soit un facteur important pour la réussite des techniques ? Qu’en est-il ?
La vitesse en tant que telle n’est pas prépondérante en Aikido. Etre trop rapide n’est pas une bonne chose. Bien sûr, être en retard est encore plus négatif.
L’idéal est d’avoir une légère anticipation sur le partenaire. En cas d’urgence, de danger, il faut être capable dans l’instant d’avoir la position exacte adaptée à la situation.
De plus, la vitesse n’est pas une donnée seulement physique. C’est aussi une donnée mentale. « Etre prêt » est la sensation avec laquelle il faut pratiquer.
Il faut avoir la sensation d’être en avance, que la pensée précède le mouvement en quelque sorte.
5. Préconisez-vous un spécifique travail avec armes ?
On peut trouver une réponse à cette question si on regarde l’évolution des arts martiaux depuis leur origine.
Pour progresser dans les arts martiaux, il faut regarder le passé et aller de l’avant, profiter des connaissances acquises pour les développer ou comme disait Confucius :
« Celui qui repasse dans son esprit ce qu’il sait déjà, et par ce moyen acquiert de nouvelles connaissances-»...que l’on peut interpréter comme «de répétitions en réinterprétations des textes anciens, se dégagent un sens nouveau, actuel, et une application pratique ».
Le passé est très important. Cependant, tout n’est pas bon. Il faut pratiquer avec intelligence, sérieux et profondeur sinon la pratique peut s’avérer mauvaise.
6. Sensei, vous demandez à vos élèves de travailler la souplesse plutôt que la puissance, quel en est l’avantage ?
Etre puissant, fort n’est pas une chose négative. Il est même préférable d’avoir de la puissance que de ne pas en avoir. Cependant, le plus important, c’est la capacité de mobilisation du corps et de l’esprit.
Les personnes puissantes doivent absolument développer une souplesse de l’esprit et du corps (muscles, articulations...) pour être capable d’utiliser leur puissance à bon escient.
Pour ma part, je cherche à utiliser mon corps le plus efficacement possible en cherchant à diminuer l’utilisation de mon « énergie ».
7. Considérez-vous que l’Aïkido soit un art martial de self-défense ?
L’Aikido est un art martial, sans aucun doute, que l’on pourrait qualifier de « self- défense ».
Il n’y a pas de sens à la pratique si l’on pratique l’Aikido en perdant de vue cet aspect.
Pourquoi pratiquerait-on si l’Aikido n’était pas un art martial, un art de « combat » ?Cependant, il faut avoir une vision large de la pratique.
Pratiquer avec de nombreuses personnes, appréhender leurs techniques et leur déplacements, apprendre comment y faire face doit permettre à Tori de développer ses aptitudes, sa puissance, ses capacités et donc par là d’appréhender l’aspect « combat » de l’Aikido.
8. Comment doit-on utiliser au mieux les atémis ?
Les atemis doivent être décisifs.
Ils partent du ventre et sont l’expression complète du « hara » et de l’axe vertical du corps. L’atemi doit pénétrer les points vitaux, les transpercer.
L’atemi doit permettre à Uke de comprendre ses imprudences et à Tori de vérifier- confirmer sa propre distance par rapport au partenaire.
9. Existe-t-il des techniques plus importantes, voire plus fondamentales que d’autres ? Diriez-vous que ikkyo est le premier principe en Aïkido ?
Quand on parle des « kihon waza», je préfère parler plutôt des formes originales, primitives, des principes en particulier « ikkyo », « irimi » et « kokyu » qui animent les formes.
Si l’on devait donner une image (imager ces 3 principes lors de la pratique), je dirais :
Attendre le dernier instant, l’instant décisif pour s’emparer du « coeur » du partenaire en un seul mouvement, en un espace-temps.
A l’origine, les techniques n’avaient pas de nom. C’est en pratiquant encore et encore que le nom des techniques est apparu.
Concernant « ikkyo », je pense que le sens de « un » (ichi en japonais) est important et conséquent, qu’il faut considérer « ikkyo » dans sa globalité, dans son sens global avec l’idée d’unité, d’unification, d’un temps, d’un tout.
10. Que pensez-vous du suwari waza comparé au tachi waza ?
Un des aspects de l’Aikido est le suwari waza. Que l’on soit débutant ou vétéran, le travail du suwari est très intéressant.
Il permet de calmer l’esprit, de descendre le centre de gravité et de mettre en ordre le « kokyu ». Il permet aussi de renforcer le « ki ». C’est un grand avantage du travail de suwari.
11. L’Aïkido a sans cesse évolué depuis que vous avez pu travailler avec Morihei Ueshiba, est-ce une bonne chose ?
Les époques changent sans cesse.
Le monde et la société changent mais les idées, l’esprit, les desseins perdurent, survivent...De génération en génération, la façon de pratiquer, la façon de regarder..., les savoirs se transmettent.
Il est important de changer ce qui doit l’être et de garder ce qui doit l’être.
12. Vous avez beaucoup étudié avec Yamaguchi Seigo sensei, que vous a-t-il apporté que vous ne pouvez pas oublier au plan humain comme au niveau technique ?
Au niveau technique, des sensations, je me souviens que lorsque je prenais l’ukemi pour Yamaguchi sensei, j’étais comme absordé, aspiré dans le vide.
En un instant, sans comprendre, je me retrouvais par terre et bien que j’essayais de me relever, de me « débattre », je ne parvenais pas à me relever.
Au niveau humain, Yamaguchi sensei pensait que l’Aikido était un moyen de progression, une voie , qu’il ne fallait pas imiter « bêtement »le professeur mais mettre du sens dans sa pratique, qu’il fallait faire de son mieux...c’est en me remémorant ces paroles que j’écris ces quelques lignes maintenant...
13. Existe-t-il un travail de l’Aïkido en dehors du dojo ?
La vie quotidienne et la pratique, la vie au dojo sont complémentaires. La pratique, le dojo peuvent être considéré comme l’aspect « ura » et la vie quotidienne comme l’aspect « omote ».
Il serait dommage de ne pas faire de pont, de relation entre la pratique et la vie de tous les jours...Je pense que les deux sont étroitement connectés tels des vases communicants.
Nous vous remercions beaucoup sensei.
Yasuno shihan est professeur d'aïkido à Tokyo depuis plus de 50 ans. Expert reconnu mondialement, il encadre des stages dans le monde entier et notamment en France où il vient chaque année pendant 2 semaines.
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